Lo Cebier, Informacions bilingüas de Provença, n° 62 [setembre / octòbre de 2000]
Gérard TAUTIL
Les effets de Matignon 3 est ont créé l'événement de l'été. Celui-ci sanctionne quarante années de combat autonomiste, nationaliste ou régionaliste, pour certains davantage, prolonge la décentralisation à la Defferre, répond à l'urgence politique que la situation corse appelle. Jospin a le mérite de revenir sur sa décision initiale de Matignon 1 de n'engager la concertation que dans le silence des armes. Les nationalistes entendent le message et le processus se met en place. Les accords de Matignon 3 éclatent au milieu des murmures de la classe politique. La rumeur devient fureur avec la sortie de Chevènement.
Rien n'est gagné, la moindre provocation peut une fois de plus déstabiliser l'entreprise. Les assassinats intervenus récemment en Corse, la fronde des transcourants néo-jacobins paniqués, le rôle joué par une certaine presse parisienne qui dramatise a l'envie et interdit, de fait, tout débat démocratique (depuis l'accord entre les élus corses quasi unanimes et Matignon) ont pour but de faire échouer le minimum d'accord politique aujourd'hui possible. Les nationalistes saisissent la balle au bond. Ils sont conscients qu'il ne faut pas décevoir une opinion lassée par la violence, quitte à accepter des conditions très contraignantes: législatif territorial encadré par le Parlement, période de quatre ans avant application. Autant de verrous dans le dispositif . On ne pourra pas dire qu'ils refusent le dialogue; ils font preuve de maturité politique face à une classe politique parisienne qui s'affole.
La revendication de démocratisation de la vie politique est révélatrice de quelque chose de plus profond. Nos amis corses de l'UPC-Scelta Nova le disent en la personne de François Alfonsi aux journées de Benodet: "Le problème corse aujourd'hui, est de moins en moins un débat sur la Corse et de plus en plus un débat sur la France et sur l'Europe accessoirement". Or, L. Jospin, sous la pression ou selon sa conviction personnelle, a pris les devants en réduisant la portée de Matignon 3. Il écrit dans le Nouvel Observateur courant août :"(...) il n'est pas possible d'assimiler à la situation singulière de la Corse celles d'autres régions françaises comme la Bretagne, I'Alsace ou encore le Pays Basque". Les limites de la reforme sont claires: I'Etat refuse toute mutation de gestion démocratique et de redéfinition du pouvoir régional. On comprend à quoi sert la commission Mauroy qui dans le plus grand silence s'apprête à ne rien changer. Sans doute à illustrer la politique de Jospin qui navigue à vue et qui ne veut pas engager, à deux ans des présidentielles une réforme en profondeur de l'Etat. La méthode Jospin? On sait ce qu'il en est depuis la non ratification de la Charte des "langues régionales et minoritaires" du Conseil de l'Europe... Aussi, notre crainte, voire notre méfiance vis-à-vis de la portée des accords Matignon, sont malheureusement fondées.
Or l'étouffement de la question des identités régionales ne pourra rester indéfiniment la question du Prince. La montée de cette revendication, dans une Europe en pleine mutation, taraude l'immobilisme français. Plus vite les responsables politiques s'engageront dans une réforme profonde de régionalisation démocratique, aboutissant à des formes d'autonomie adaptées à chaque territoire, plus vite le "dossier corse" aujourd'hui, breton, basque ou occitan demain, trouvera les conditions souhaitées d'une vie politique apaisée. II en résultera pour la France, en s'appuyant sur ses régions historiques redéployées et ouvertes à des fonctions économiques diversifiées, une meilleure intégration à la construction européenne, dans des conditions favorables à de nouvelles avancées politiques pour tous. L'intelligence dont serait capable la classe politique française en ce domaine rejaillirait sur une politique européenne commune qui, reconnaissons-le, actuellement arcboutée sur des traditions stato-nationales, est en train de tuer dans l'oeuf le ''débat" sur une Constituante européenne.
Aujourd'hui, cette contradiction fondamentale de l'Etat exige dans le domaine politique un nécessaire remodelage des habitudes et des fonctionnements liés à la tradition centraliste. Elle prendra d'autant plus d'ampleur que le clivage qui s'opère entre Souverainistes et Régionalistes-Fédéralistes s'acccentuera lors des prochaines années. La fêlure corse peut ouvrir une brêche, pour parler en termes de rapports de force. Mais seule la volonté du gouvernement et des responsables de l'exécutif - à condition qu'ils parlent d'une même voix et qu'ils sachent où ils vont-, peut transformer l'essai en réforme de l'Etat. Ce qui est tout autre chose que le "pari corse" dont nous parle L. Jospin dans l'hebdomadaire cité.
Gérard TAUTIL
Porte-parole de la Fédération Provençale du Partit Occitan (12/09/2000)