Le dernier bulletin annuel de
l'Organisation météorologiste mondiale annonce
des records de concentration
pour les trois principaux gaz à effets de serre: CO2,
méthane, protoxyde
d'azote, et confirme qu'«ils ont perturbé
l'équilibre naturel de l'atmosphère
terrestre et contribuent largement au changement climatique».
Au même moment en
Pologne, les représentants de 190 pays préparent
la prochaine conférence des
Nations Unies sur le climat, qui se tiendra à Paris en 2015.
L'enjeu est
crucial: diminuer les émissions de CO2 qui sont
passées de 1 ou 2 milliards de
tonnes par an dans les années 50, à 9 ou 10
milliards aujourd'hui, en sachant
que le seuil tolérable pour une planète vivable
(3 à 4 milliards) a été
dépassé
dans les années 70. Les GES mettent un siècle
pour être éliminés, les
océans 10
ou 20 ans à se réchauffer. Les
prévisions du GIEC faites depuis dix ou vingt
ans se réalisent maintenant: le réchauffement du
climat fait fondre les glaces
de l'arctique, élève le niveau des mers et
multiplie les phénomènes
météorologiques extrêmes.
Nous
sommes entrés dans une nouvelle ère
géologique, l'anthropocène, depuis la
révolution industrielle, depuis que
l'homme a modifié en profondeur son environnement. Jusque
là, les prélèvements
sur les ressources étaient modérés par
la fragilité des humains face aux
catastrophes naturelles. Mais à partir du 18ème
siècle, les découvertes
scientifiques et techniques donnent à l'homme occidental un
sentiment de toute
puissance. La nature peut enfin être domptée et
remodelée. Tout doit être
jardiné , cultivé, paysagé, on coupe
les forêts, on rase les montagnes, on
éventre la terre pour l'industrie et l'agriculure. Se
crée ainsi un monde de
machines censées répondre à tous nos
besoins: se nourrir, s'habiller, se loger,
se distraire. Il faut vaincre les peurs ancestrales d'une nature
hostile et
sauvage, on dresse donc des barrières entre elle et nous, en
artificialisant
l'environnement les animaux, et même les hommes. Prenons les
plantes
médicinales par exemple.
Les
plantes bannies de la médecine
Il y
avait autrefois dans chaque petite
ville et village des sages-femmes ou guérisseuses, capables
de soigner par les
plantes en utilisant l'énergie des cycles lunaires et des
saisons. Mais leur
savoir traditionnel gênait la médecine officielle
des hommes. Les accuser de
sorcellerie permit d'en brûler des milliers en Europe, du
15ème au 18ème
siècle. Les herboristes prirent la relève
jusqu'à ce que Vichy interdise leur
profession en 1941. L'interdiction tient toujours grâce
à l'Ordre des médecins
associé aux laboratoires pharmaceutiques. Le commerce des
médicaments rapporte
trop pour qu'on le menace par la phytothérapie qui elle, n'a
pas d'effets
secondaires ou d'accoutumance et comme l'homéopathie,
considère la personne
dans sa totalité. Et pourtant, un tiers des
médicaments actuels sont issus
d'extraits de plantes. Et pourtant la demande pour des
«remèdes de grand-mère»
et des soins plus naturels est très forte; mais elle doit
passer par
l'agrochimie pour être reconnue. Cela n'empêche pas
les firmes agro-chimiques
de répertorier la pharmacopée des peuples
pauvres, pour s'approprier leurs
connaissances en déposant des brevets sur les plantes et
leur utilisation.
Elles peuvent ainsi leur revendre très cher, sous forme de
médicaments, les
richesses naturelles qu'elles leur ont volées.
Les animaux hors-sol
Les
animaux aussi sont transformés: en
machines à lait, à oeufs, à jambons.
Ils deviennent des «droits à produire».
On
connait les camps de concentration pour poules pondeuses ou porcs.
L'élevage
industriel des bovins empêche tout rapport naturel avec leur
environnement. Les
veaux sont enlevés à leur mère
dès la naissance et mis dans un box. Ils n'ont
rien appris des rapports entre membres d'un troupeau, où le
leader, souvent une
vieille femelle, règle les conflits à l'amiable,
ils ne savent rien des codes
relationnels -oeillades et mouvements d'oreille- en usage, ils n'ont
pas
intégré les réflexes de
défense face aux prédateurs. Quand ils sont
lâchés dans
un troupeau d'autres jeunes aussi désorientés
qu'eux, ils subissent la loi du
plus fort, se font souvent blesser, tombent malades car ils n'ont pas
reçu tous
les micro-organismes immunitaires de la mère. Leur premier
rapport au monde des
humains est brutal: une puce agrafée à l'oreille,
leurs cornes brûlées alors
qu'elles sont nécessaires à leur
équilibre, à leur relation à l'espace
et aux
autres animaux. Les génisses sont
inséminées artificiellement et forment elles
aussi des bandes sans éducation où
règne la violence. Pourtant, une enquête
anglaise sur les élevages laitiers a conclu que les
meilleurs élevages étaient
ceux où on donnait un nom aux vaches, car il y avait un lien
affectif entre les
bêtes et l'éleveur.
Les
bêtes ont non seulement besoin de
rapports sociaux pour se construire, de soins et d'attention pour
donner tout
leur potentiel, mais aussi de liens avec le milieu naturel.
La dissection des corps
Pour
intégrer le corps humain dans
l'univers des machines, on ne le considère plus dans son
entier mais comme un
amalgame de tissus et d'organes qu'on peut remplacer ou transformer
à volonté.
Les nouvelles technologies de la reproduction
préconisées pour les femmes se
rapprochent d'ailleurs beaucoup de celles
utilisées pour les animaux.
On remarque
la même violence de l'ingérence technologique dans
les corps, le même
arrachement au processus naturel biologique. Ces technologies
procèdent par
sélection et élimination, donc chaque fois on a
un appauvrissement de la
biodiversité, une fragilisation des individus
sélectionnés, et une éventuelle
disparition de l'espèce. C'est ce qui se passe pour les
huitres issues des
écloseries, pour les abeilles issues d'un nombre de plus en
plus restreint de
reines «élevées», pour les
vaches, porcs, volailles, beaucoup plus malades qu'avant,
malgré les tonnes de médicaments
ingurgités. On a vu que l'Europe allait
imposer la même sélection par la voie
mâle pour les ovins et caprins. Et pour
les femmes, n'est-ce pas une tentative d'échapper
à la nature? Peut-on parler
de libération alors que nous sommes dépendantes
d'experts médicaux? Ils
proposent des moyens contraceptifs au féminin, des
accouchements programmés,
des techniques invasives contre l'infertilité avec
sélection des embryons (pour
éviter les maladies génétiques, en
attendant de choisir le sexe
comme en Inde, puis tout le reste). La
recherche médicale dissèque les corps, travaille
sur les ovules, l'appareil
reproducteur. Elle ne remédie pas pour autant à
l'exposition des individus aux
carences et aux poisons alimentaires, à un air
vicié, à une vie de stress et de
non-sens, responsables de l'infertilité et d'autres
problèmes de santé.
Retrouver
le lien perdu
Et
maintenant que nous avons achevé notre
mutation, que nous vivons nous aussi hors-sol, nous aspirons
à retrouver cette osmose
perdue avec la nature, comme si nous sentions qu'une partie de
nous-mêmes était
mutilée. C'est cette soif de verdure qui fait affluer les
acheteurs dans les
jardineries dès les premiers beaux jours, qui envoie les
touristes à la
recherche des derniers coins sauvages de la planète, qui
explique le succès des
émissions de télé où on
rencontre des communautés traditionnelles vivant en
harmonie avec la terre-mère. Mais les réponses
à cette quête de l'authentique
sont faussées, tout est artificialisé, comme si
nous ne pouvions plus nous
passer des prothèses dont la science et la technique nous
ont affublés: les
pesticides et les engrais chimiques pour les plantes, les
quatre-quatre,
autocars, motos et leur cortège de pollutions diverses dans
les endroits encore
intacts, l'entremise de l'attirail audiovisuel et la certitude du
retour au
«confort moderne» après
l'émission. La
«slow television»
norvégienne illustre cette coupure
d'avec la nature que nous ne voyons plus
qu'en spectateurs: pour la «soirée nationale du
feu de foyer» le 15 février
dernier, 20% de la population a regardé pendant 8 heures
crépiter un feu de
foyer après avoir écouté 4 heures de
conversations sur les techniques de coupe,
de fente et d'entreposage du bois. Cela répondait
à un besoin de lenteur, face
au stress et à la vitesse, de nature pour le contact perdu
avec les arbres, le
bois, le feu, et d'échange car l'interaction avec
l'entourage ou via les médias
sociaux était alors possible.
Quand
ce rapport à la nature est
définitivement perdu, survient la compréhension
de l'énormité de sa perte. Les
femmes de Tchernobyl et de Fukushima se sont
révoltées contre le monde que les
hommes irresponsables leur ont imposé. Ce sont elles qui
doivent mesurer la
radioactivuté des aliments qu'elles donnent à
leurs enfants, qui doivent leur
interdire de jouer dehors et laver leurs chaussures quand ils rentrent
de
l'école. Et c'est pour elles une véritable
souffrance de savoir que leurs
enfants ne pourront jamais se rouler dans les feuilles mortes ou
l'herbe verte.
Notre dépendance aux produits de la société de consommation nous a rendus inaptes à survivre dans un environnement non artificialisé. Nous sommes devenus aveugles à la gravité des dommages que nous causons à notre planète. Plutôt continuer à accéder au supermarché, à la voiture, à la surmédicalisation, aux gadgets informatiques, au mirage de la croissance et du progrès que voir la menace du changement climatique et le passif que nos enfants devront assumer. Il est temps de remettre les pieds sur terre, d'en respecter toutes les composantes et de prendre le chemin de la «sobriété heureuse»»
Danisa Urroz