Par Guilhèm Latrubesse.
La nouvelle réforme
territoriale, l’acte III de la décentralisation,
s’intègre dans une nouvelle conception de la
république française initié il y a
moins de 50 ans. Ceci a été voulu
d’abord par Charles de Gaulle, « ce sont
les activités régionales qui apparaissent comme
les ressorts de [la] puissance
économique de demain[1] »,
même si le référendum sur la
régionalisation en 1969 fut un échec pour lui.
Ensuite ce fut François Mitterand « La
France […] a aujourd’hui besoin
d’un pouvoir décentralisée[2] »
qui mit en place la première loi sur les régions
en 1982 (loi Deferre). Enfin
en 2003, sous Raffarin, la constitution est modifiée pour
préciser que « l’organisation
de la République est décentralisée
».
Nous savons bien que ce qui est
marqué dans une constitution
ne vaut pas forcément application immédiate, et
il faudra encore du temps pour
de débarrasser de l’héritage de Louis
XIV et de Napoléon. Dans un autre
registre, l’entrée des langues
régionales dans la constitution en 2008 a bien
prouvé
qu’il s’agit avant tout d’une
avancée symbolique mais que cela n’octroie pas
forcément
de droits nouveaux.
Mais derrière cette
apparente volonté de décentraliser, 2010
a marqué un changement radical de cap. Les
compétences et les responsabilités
des collectivités ne sont pas touchées, mais en
révisant complètement la
fiscalité des collectivités, notamment en
supprimant la taxe professionnelle,
nous avons assisté à une recentralisation par le
porte-monnaie. En effet, en limitant
leurs ressources directes, leur capacité à lever
l’impôt, l’Etat devient le premier
financeur des collectivités et peut fortement influencer
leur
fonctionnement : nous entrons au mieux dans une phase de
déconcentration,
les collectivités locales n’étant plus
que des entités gestionnaires, certes
plus efficaces, des compétences de l’Etat.
Pourtant, en 2014, la situation
politique et sociale doit
nous appeler à renforcer la démocratie locale,
à redonner le pouvoir localement,
à renforcer l’efficacité des actions
publiques. Au lieu de cela, c’est la pire
approche qui nous est proposée : dessiner les contours des
cartes avant même d’aborder
la question du contenu du projet, des compétences. Cette
réforme par le haut ne
fait que renforcer le sentiment que les citoyens ne sont pas pris en
compte. De
plus, si la réforme insiste sur les coopérations
intercommunales, sur une
fusion des départements et des régions, rien
n’est dit sur les doublons entre
service d’état et services régionaux.
Par exemple, les fonds régionaux d’art
contemporain sont aidés systématiquement
à 50/50 entre la Direction Régionale
des Affaires Culturelles (DRAC) et la politique culturelle des
régions,
entrainant une double instruction de dossiers, double travail de
fonctionnaire.
En 1981, François Mitterand proposé de supprimer
les préfets, il faut à
supprimer les doublons administratifs en région.
Mais la fusion
Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon vers
une région qui pourrait s’appeler tout simplement
Languedoc pose la question de
la structuration du territoire occitan qui passera par
ailleurs par des
statuts spécifiques pour les collectivités Basque
et Catalane nord. Dans les
années 70-80, plusieurs propositions de découpage
occitan avaient été formulées
par Robert Lafont, Jean-Claude Lugan ou encore Volem Viure Al
Paìs (VVAP).
Pour la partie nord
d’Occitanie, la position sur
Auvergne-Limousin était claire et unanime : une
fusion permettrait de
développer une politique cohérente. Dommage que
30 ans plus tard, la vision
libérale écartèle ce territoire, au
nom du postulat dogmatique qu’un territoire
ne peut se développer que s’il est
rattaché à une métropole. Ce
n’est malheureusement
pas Lyon ou Bordeaux qui vont permettre le développement de
l’Auvergne et du
Limousin tout comme ce n’est pas Paris qui a permis le
développement des
régions périphériques.
Pour la partie sud
d’Occitanie, 2 alternatives étaient
proposées : un découpage en 2 grandes
régions (Bordeaux-Toulouse d’un
côté
et Montpellier-Marseille de l’autre), ou le
découpage en 3 régions avec un
rapprochement Toulouse – Montpellier. C’est
finalement le découpage en 3
régions qui semblaient avoir le plus
d’adhésion à
l’époque, et qui par chance a
été retenu par les dernières
propositions de cartes à 13 régions. Bien
sûr, il
faudrait reprendre le ciseau pour donner une vraie cohérence
à cette nouvelle
région en traitant les questions de la Bigorre, du Gard ou
du Gers, mais nous
pouvons estimer bien lotis au vu des autres régions
proposées.
Si la question des capitales est
posée, une région avec un
seul budget mais un fonctionnement avec deux chambres, tel que
proposé par
Gérard Onesta, aurait le mérite de
régler cette question en en positionnant une
à Toulouse et une autre à Montpellier. La chambre
des citoyens représenterait
la réalité des populations avec une bonne partie
d’urbains et la chambre des
territoires représenterait l’espace avec une plus
forte présence des
territoires ruraux, donnant une sortie par le haut au
problème des représentants
des départements ruraux. Au-delà des capitales,
il y a les villes secondaires. La
création d’un nouvel axe fort entre Toulouse et
Montpellier mettrait en
évidence des nouveaux flux avec
l’émergence d’un hub maritime,
ferroviaire et
routier entre Narbonne et Béziers. L’isthme
occitan entre Océan Atlantique et
Mer Méditerranée pourrait reprendre une nouvelle
vie, 350 ans après la
naissance du canal des 2 mers, cher à Pierre-Paul Riquet.
En tant qu’élus
nous pouvons profiter de ce moment de reconstruction
du territoire pour le réinventer et relever les
différents enjeux :
-
Economique
: la dynamique de certaines régions
en Europe démontre que l’appropriation
d’un territoire par une population est
un vecteur de développement, d’innovation car
au-delà des situations sociales
différentes, les populations ont en partage une culture
commune.
-
Coopération :
il est nécessaire de
concevoir les territoires non isolés
administrativement et de considérer
qu’ils sont bordés par d’autres
régions au nord comme au sud, au-delà des
frontières des Etats. A ce titre, sur l’occitan,
nous montrons qu’une
coopération forte est possible entre Aquitaine et
Midi-Pyrénées et demain avec
d’autres régions y compris la Catalogne sans
forcément devoir tous fusionner.
-
Démocratie :
les consultations courageuses
menées en Ecosse ou en Catalogne, et les forts taux de
participation pour
l’Ecosse montre que les citoyens sont
intéressés par des projets politiques de
territoires et peuvent se mobiliser s’ils y croient. Nous
pouvons rêver d’une
telle participation à des consultations dans nos
régions, pour décider des
découpages territoriaux par exemple. Cela aurait
certainement plus de sens que
les remodelages fait à distance dans un bureau parisien
La réforme territoriale,
telle qu’elle est proposée, prend
donc à l’envers la problématique de
l’avenir de nos territoires et de leur
développement. Malgré tout, cela ne doit pas nous
empêcher pour en profiter
pour se poser les vraies questions et ce que nous voulons construire
pour
demain.
[1]
« L’effort multiséculaire qui fut
longtemps nécessaire à notre pays pour
réaliser et maintenir son unité malgré
les divergences des provinces qui lui
étaient successivement rattachées, ne
s’impose plus désormais. Au contraire, ce
sont les activités régionales qui apparaissent
comme les ressorts de sa
puissance économique de demain » (Charles de
Gaulle, 24 mars 1968).
[2]
« La France a eu besoin d’un pouvoir fort et
centralisé pour se faire, elle a
aujourd’hui besoin d’un pouvoir
décentralisée pour ne pas se défaire
»
(François Mitterrand, 15 juillet 1981).