C’est
un grand crève-cœur que ce départ de
l’Yves qui a porté sur ses épaules
toutes les sensibilités et les
contradictions de l’occitanisme réel. Mais qui
peut affirmer avoir bien connu
le militant ? L’homme est
généreux (je ne peux dire « a
été » tant
il est toujours présent). Ses coups de gueule et ses
propositions en politique
nous faisaient frères, même quand nous pensions
qu’il se trompait. Mais qui ne
s’est jamais trompé ? Nous
étions militants avec l’Yves de Volèm
Viure Al Pais, pour le meilleur et
pour le pire, dans une période où toutes les
expériences et initiatives folles
pouvaient être tentées. Los
Carboniers de
la Sala avaient ouvert une brèche. La chanson
occitane avec ses interprètes
avait réactivé
une conscience d’Oc. Chacun
venait dans la bataille avec son histoire personnelle et sa conscience
d’une Histoire
à mettre en perspective. Avec les crispations
d’une gauche prometteuse et d’une
droite toujours aussi inintelligente qui ne comprit pas
qu’elle allait
s’échouer dans ce jardin caillouteux du Larzac,
face à ses paysans têtus, face
à sa jeunesse révoltée contre un camp
militaire inutile ; un combat
vainqueur qui permit paradoxalement à F. Mitterrand de
refaire surface… La
suite nous la connaissons tous, nous
n’épiloguerons donc pas sur les attentes
déçues et les rendez-vous manqués.
Mais
il y eut aussi des rendez-vous
prometteurs où le mouvement syndical avança lors
de la luttes des viticulteurs
et aboutit à la grande manifestation de Montpellier,
porteuse de centaines de
drapeaux occitans, au début des années
quatre-vingt. Les occitanistes qui y
prirent la parole, comme Robert Lafont, le firent sans doute
à titre personnel.
Mais une ouverture populaire apparaissait possible. La rencontre de Mon Pais escorjat (1979) avait
scellé l’échec
de cette union de la gauche avec les forces populaires en pays
d’Oc. Rouquette,
lui, ne s’était pas fait d’illusion.
Yves
était un homme de conviction et
d’action. S’il fut écrivain, homme de
lettres, poète, conférencier, tribun au
nom de son peuple, il fut aussi ce militant qui savait se
déplacer pour
défendre nos idées de liberté. Si Midi
Libre rend hommage à sa façon
à ce partisan d’une « Occitanie libre et rouge »,
il ne
sait sans doute pas ce que signifiaient ces mots pour Yves et ceux qui
oeuvraient jour après jour pour que le peuple occitan soit
reconnu dans le
droit fil de l’histoire et se réalise dans
l’élaboration d’une conscience de
soi donnée à tous. Cette autonomie, le mouvement
en portait le projet et son
ancrage à gauche n’avait rien à voir
avec cette gauche jacobine pourvoyeuse de
fausse monnaie et riche en fausses promesses. Cette
dénonciation il la fit,
même si sa tentation d’activer ce changement
interne à la gauche fut amer. Mais
qui ne fait rien n’a rien.
Pour ne parler
que de ce que nous avons fait
en commun, je voudrais que nous gardions en Provence ce souvenir de nos
rencontres : celle de la Seyne-sur-Mer en 78 où la
salle comble de la
Commune entendit sa parole forte après les chansons de
libération de Claude
Marti ; celle de nos interventions multiples où,
après avoir introduit un
débat en pays niçois, Yves me laissa
présenter le mouvement. Lourde tache après
une intervention forte comme il savait si bien les faire. Le combat
prioritaire
pour l’autonomie de l’Occitanie nous semblait au
cœur du projet occitan. S’il
l’est toujours, il s’est enrichi
d’apports multiples dans les domaines culturel
et linguistique, de l’entrée en
société d’une jeune
génération qui s’est mise à
œuvrer concrètement dans le domaine
économique et social. C’est sans doute ce
combat des militants politiques occitans de cette période,
celui des E.Fave,
Berthoumieux, R.Lafont, G.Martin qui permet encore
aujourd’hui de parler d’un pays
occitan, d’une culture occitane et d’une langue
dans son unité et sa diversité.
Mais aussi de sortir du moule centraliste monarchique et
d’une conception
étroite, faussement universaliste de la
république qui a renié son projet
fédéraliste initial.
Yves Rouquette,
par sa volonté de mener de
front le combat culturel et politique, avec toute la
personnalité qui fut la
sienne, a contribué à ce projet de
libération et d’émancipation.
Qu’il en soit
remercié, lui le porteur d’un
« occitanisme global » qui ouvre
le
chemin aux générations nouvelles.
Gérard
TAUTIL
(6
janvier 2015)