Ce
sont donc plus de quatre millions de personnes qui se sont
rassemblées
samedi et dimanche dans tout le pays pour une marche
« républicaine et
apolitique ». Derrière les discours
officiels, nous assistons depuis
quelques jours à des tentatives
d’instrumentalisation politique de ce mouvement
et à un sensible glissement de certaines attitudes et
positions. L’extrême-droite
entend bien capitaliser sur les événements de
cette
semaine sanglante En
prétextant le refus du collectif des organisations
d’associer le
Front National à l’appel unitaire, ses cadres ont
annoncé dès vendredi qu’ils
défileraient « en
province » (sic !), dans des villes
où les populations et équipes municipales
seraient « fronto-compatibles »
(Fréjus, Baucaire, Montauban,
Perpignan…). Dans les villes en question, on
a donc vu défiler hier des cadres encerclés de
leur service d’ordre, de
drapeaux français. On a vu déferler des bus
entiers de militants frontistes
venus grossir les cortèges autour de leurs guest-stars et
créer l’événement. Et
pour chacun d’entre eux, la photo qui fera la Une de la
presse locale le
lendemain. Opération communication réussie donc,
avec un relais médiatique
national et local garanti. Les élections
départementales auront lieu
bientôt… A
Orange, dès jeudi soir,
Jacques Bompart, député-maire de la ville,
profitait d’un rassemblement pour
faire installer une tribune et prendre la parole (tous les
détails ici : http://partitoccitan.org/archivas/article1472.html).
Interrompu alors qu’il lisait un discours
nauséabond par
une partie de la foule, il a simplement demandé à
sa police municipale d’intervenir
pour faire taire les contestataires. A
Béziers, dès
jeudi soir,
Robert Ménart osait sans scrupules les premiers
raccourcis : « après
trente
ans d'immigration galopante, ces choses-là sont possibles
à Paris et en France ».
Le fondateur de Reporters Sans Frontières
renchérissait lors de ce son discours
de ce weekend : « Que ferons-nous demain
pour que les conditions qui
risquent de transformer Paris en Beyrouth, en Alep ou en Kaboul soient
traitées
sans faiblesse, voilà la question qu’il faudra
bien, ensemble, ne pas cesser de
nous poser ». Mais
les élus frontistes ne sont pas les seuls à avoir
compris l’enjeu
électoral qui se dessine. A Montauban,
la maire UMP Brigitte Barèges, figure de la Droite
Populaire, osait mercredi le
parallèle avec la
« censure » subie par Eric
Zemmour. Elle
monopolisait le dispositif de diffusion audio dans les rues du
centre-ville
pour lire son communiqué et faire parler les
représentants religieux. Elle
organisait son propre rassemblement pour s’assurer une prise
de parole unique. Le
Front National et ses alliés l’ont bien compris,
l’enjeu est de
taille : il s’agit de s’associer
à l’unité républicaine tout
en se
démarquant des autres avec plus ou moins de
subtilité. Laïcité
et nationalisme Les
appels à défendre la laïcité
se sont multipliés ces derniers jours.
Ce principe, fondement du pacte républicain, repose sur deux
principes
fondamentaux : la dissociation de la présence
religieuse dans la vie
publique et dans la vie privée, et la liberté de
conscience et de culte. Le
concept est pourtant à manier avec
précautions tant est grand
le risque de tomber dans la caricature communautariste. Certes les
attaques de
mercredi et vendredi impliquaient des conceptions religieuses
radicales, certes
la communauté judaïque a été
directement prise pour cible vendredi. Mais est-il
pourtant cohérent, acceptable, d’invoquer cette
laïcité tout en mettant en
avant les plus hauts dignitaires religieux ? Est-il
tolérable que parmi ceux
qui se posent
aujourd’hui en défenseur de cette
laïcité, beaucoup invoquaient
l’héritage
judéo-chrétien de l’Europe pour se
lever contre le mariage pour tous ? Les
médias auront dans les
jours prochains
une responsabilité immense pour veiller à ne pas
laisser invoquer cette laïcité
pour justifier les discours les plus islamophobes. Le
rassemblement autour des valeurs européennes de ce dimanche
témoigne
de la capacité des populations à partager des
moments de cohésion autour
d’événements
fédérateurs. Néanmoins,
l’exaltation du nationalisme, via tous ses symboles,
doit être appréhendé avec la plus
grande vigilance : jamais celui-ci n’a
conduit à la paix des peuples, jamais il n’a
été stimulateur de libertés
individuelles ! En
Europe et sur Internet : libération du
discours raciste Après
les déclarations de Jean-Marie Le Pen qui
annonçait sur Twitter « Je
ne suis pas Charlie », le hashtag
#JeNeSuisPasCharlie s’est répandu sur la
toile comme une trainée de poudre en quelques heures
à peine. Les discours de
haine envers Charlie Hebdo sont apparus au grand jour. Les mouvements
d’extrême-droite
les plus durs ont prouvé leur capacité
à interagir sur le web avec rapidité et
efficacité. En
quelques jours à peine, la veille envers les mouvances
neo-fascistes
témoigne d’une libéralisation
assumée du discours raciste. Et l’on peut
légitimement présager que la question de
l’islam radical va ré-émarger pour se
positionner au centre des agendas politiques pour les mois (les
années ?) à
venir… Déjà,
UKIP en
Angleterre ou le Parti de la Liberté aux Pays Bas osaient
les amalgames ce
weekend. Dans toute l’Europe (Allemagne avec Pegida, en
Grèce avec Aube Dorée,
en Italie, en Suède…), les mouvements amis de
Marine Le Pen se mobilisent pour
surfer sur les peurs de leurs citoyens. En Allemagne, une personne sur
deux
considère déjà l’islam comme
une menace… « Restez
calme et
votez Le Pen » annonçait le
père de Marine vendredi soir. C’est bien le
risque qui s’annonce…
Gaël
Tabarly
Citer cet article : http://partitoccitan.org/archivas/article1481.html