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Convencion occitana - Les trois contradictions de l’occitanisme

16 novembre 2002

La préparation de la Convention occitane a déjà mis l’accent sur une conjoncture favorable à l’échelon international, comme le mouvement occitan, longuement habitué à affronter l’impossible, n’en a jamais connue, mais aussi sur l’inaptitude du mouvement et des individus à saisir cette chance. Cette inaptitude même justifie la réunion de la Convention, ses réflexions et, nous l’espérons de sa part, des décisions utiles.

Il paraît donc indispensable, en nouvelle préface, d’énoncer les difficultés et contradictions qui ont, dans le passé, gêné ou paralysé l’action occitane et qui continuent peut-être à le faire.

On en voit trois :

I - NATIONALISME / ANTINATIONALISME.

Le débat date du Félibrige. Il ne s’est jamais posé en termes généraux, mais toujours en référence à l’appartenance des Occitans au territoire de l’État français. Dans le dernier demi-siècle, il a pris un caractère aigu et nouveau du fait de la pesée d’un côté de la décolonisation qui a suivi la fin de la Guerre mondiale, de l’autre d’un réformisme de l’État français qui va de la loi Deixonne aux lois
Defferre. On a eu ainsi un occitanisme de libération qui refusait en perspective, sinon dans l’immédiat, l’adhésion à la France et un occitanisme de négociation qui arguait des principes fondateurs de la Nation française moderne contre la perversion centraliste. On peut voir aujourd’hui que le premier n’a jamais convaincu que quelques dizaines de militants, alors que le second obtenait des résultats certes modestes, mais positifs dans le lit de l’opinion publique.
Sans éterniser la discussion sur ce passé, il semble bien qu’un geste décisif est possible pour s’arracher à lui. D’un côté, l’expérience mondiale a prouvé qu’indépendance étatique n’est pas automatiquement synonyme de libération des hommes. Un nationalisme identitaire a même renouvelé, chez ceux qui auraient dû en être préservés, un véritable racisme. De l’autre, l’obstacle que constitue à la revendication occitane le centralisme français doit être réévalué. Une transaction du type "refondation de la République" se fait non plus avec un État en possibilité d’ouverture mais avec un état "croupion d’histoire", vidé de contenu économique par la construction européenne et la globalisation capitaliste qu’il défend lui-même, relayé sur sa nature civique par le projet européen, et par contre-coup archaïquement replié sur sa "spécificité", de plus en plus sourd à la raison d’histoire.
Dans la période déjà ouverte d’extinction de l’État-nation, les choses ne peuvent pas être faciles pour nous. Mais nous voyons où elles pourraient aller : à un nouveau type d’organisation où la décision politique et la vie civique appartiennent à l’Europe unie et élargie cependant que les communautés historiques se réservent le droit de défendre et développer les identités culturelles et la sociabilité de proximité. À ce type nouveau que peut être l’EURONATION peuvent se plier les Nations que l’évolution dépouille d’État et peuvent se hisser les communautés jusqu’à ce jour privées de l’État national.

C’est dans cette direction, sans timidité comme sans raideur, que nous devons commencer à penser la construction de l’Occitanie.

II - INTELLECTUALISME / POPULISME.

Ce fut un débat typique du XXe siècle. Dans leur affrontement polémique, des deux termes le premier dénote un goût de l’analyse pour elle-même et de la théorisation qui fait perdre de vue les exigences de l’action, le second un abandon aux affirmations simplificatrices et aux mouvements pulsionnels qui rend la réalité opaque et ouvre des dérives passionnelles. En deux domaines, l’un
et l’autre importants dans l’histoire du mouvement occitan, ils ont déchiré ce mouvement. Pour les deux, c’est le populisme qui semble avoir vaincu. En littérature, une écriture sentimentale a largement débordé et latéralisé la recherche esthétique : on a là toute l’histoire de la littérature félibréenne. En politique, au stade de l’occitanisme, la violence abrupte de l’analyse et la déclaration
passionnelle a plus ou moins réussi à interdire la compréhension des situations complexes. Le choc devait aboutir à ce résultat paradoxal que le mouvement de nature intellectuelle, voulu pour soutenir l’occitanisme, l’Institut d’Études Occitanes, s’est trouvé dans la crise privé de tout son personnel précisément d’études, mais aussi de l’aile marchante de la production littéraire.
En rappelant cela, nous ne voulons pas rouvrir un débat ancien et de vieilles plaies, mais au contraire proposer un dépassement que la situation actuelle permet. D’un côté, il n’est pas vrai que les milieux et les hommes taxés d’intellectualisme aient abdiqué. Renvoyés à la marge organisationnelle, ils ont trouvé dans les Universités, dans divers cercles de pensée, l’occasion de penser et de chercher. Si l’on considère une bibliographie récente, comme celle que proposent les Actes du Congrès de Vienne de l’Association Internationale d’Études Occitanes, on s’aperçoit que les vingt dernières années ont été dans la recherche en domaine occitan plus fécondes, et de loin, que tout le siècle précédent. D’autre part, hors d’Occitanie l’utilisation pratique de la recherche intellectuelle a donné des résultats visibles. Ainsi la même sociolinguistique, qui fut refusée deux fois par l’occitanisme organisationnel, a servi d’axe directeur à la récupération linguistique de la Catalogne, de Galice et d’Euskadi, pour ne citer que ces pays voisins.

D’autre part, le populisme ne peut se réclamer d’aucun succès dans la rencontre du "peuple" tellement célébré. Quand, entre 1976 et 1982, à l’heure où des foules entraient en mouvement en Occitanie méridionale, ce sont les "intellectualistes" qui ont eu l’oreille des ouvriers et des paysans.

Si bien qu’aujourd’hui la recomposition est nécessaire. La Convention doit y travailler. L’ensemble des hommes et des femmes qui portent la cause occitane constitue ce qu’on a longtemps appelé un "intellectuel collectif" chargé d’une tâche d’orientation sociale. Ils font corps, quoi qu’ils pensent ou disent, et dans la compréhension des faits dont ils sont comptables et dans la responsabilité
publique. Sachons bien que plus nous irons, plus nous aurons besoin d’économistes de haut vol, d’anthropologues, de linguistes et de sociolinguistes, d’écrivains et de créateurs artistiques. Cela ne s’invente pas, cela se gagne par la reconnaissance de la place de chacun. L’Occitanie sera intelligente, ou ne sera pas. Mais naturellement l’Occitanie ne sera que si tous ceux qui se disent
occitanistes sont ensemble impliqués dans un rapport avec la société du pays, au lieu où l’on place émotivement le "peuple".

III- ACTION POLITIQUE / ACTION CULTURELLE

C’est par ce biais qu’il faut aborder le débat qui nous divise encore dans les tâches, celui des politiques et des culturels.
La tentation de l’action politique a traversé l’histoire du Félibrige, mais n’a pas dépassé le niveau de la connivence groupusculaire ou du manifeste vite absorbé par l’indifférence publique. Une conjonction historique entre la politique (Ferroul), le félibrige (Dévoluy) et le mouvenent populaire (les viticulteurs méridionaux) est apparue en 1907. Le refus de Mistral de la cautionner l’a brisée.

L’occitanisme, dès ses premiers moments (les années 1930) a voulu avoir une pensée politique, celle de Charles Camproux. Elle n’a pas mordu sur l’opinion. L’après-guerre, dominé par le nationalisme français passé par la Résistance, l’a rendue caduque et en enfermé le mouvement dans le culturalisme. C’est pourtant l’époque où est apparu, avec François Fontan, une option politique radicale.

Par la suite, certains occitanistes groupés dans des organisations du type club ou "groupe intellectuel de pression" ont pu penser jouer un rôle dans l’évolution politique de la Gauche française, et l’ont certainement joué entre 1962 et 1980. Mais à partir de cette date la crise du mouvement dans son ensemble a entraîné l’écroulement des deux formations politiques alors principales concurrentes. Il a fallu plusieurs années pour que de nouvelles tentatives organisationnelles réussissent et pour la première fois des occitanistes ont été comme tels candidats à des élections, parfois élus grâce à un jeu d’alliance.

Ces résultats faibles au regard des succès de la création culturelle (littérature, chanson, théâtre) et de l’enseignement ont créé un scepticisme fort répandu : il est vain que l’occitanisme s’aventure sur le terrain politique. En retour une sorte de ressentiment règne chez les politiques à l’égard de défenseurs de l’occitanité, qui ne veulent pas comprendre que le combat est social, et en conséquence nécessairement politique. Récemment un grand besoin de définir le projet de société autour duquel s’ordonne le combat culturel est apparu : c’est un besoin de politique.

Mais il serait temps de savoir ce dont il s’agit quand on parle politique occitane.
Il s’agit de deux choses. D’abord, d’un engagement dans le champ de la politique telle que notre société la vit. Or, le système centraliste français, occupé par des partis "nationaux" ne laisse aucune place pour que cette société rencontre des hommes qui parlent en son nom. Pratiquement la France est saisie tout entière par le réseau partisan qui organise ses jeux de pouvoir. Cette organisation a été imposée comme la seule concevable au corps civique. On a vu aux dernières élections législatives des candidats occitanistes réussir à être présents et à diffuser une pensée qui tranchait totalement avec l’entourage, à recueillir des témoignages d’estime et de sympathie. Mais cela n’a pa suffi à décider l’électeur à entrer dans le jeu de pouvoir que les professionnels de la politique lui proposaient d’entériner.
On peut dire aujourd’hui que, dans la mesure où les programmes défendus sous couleurs occitanes comme sous d’autres couleurs apparaîtront intelligents et susceptibles de résoudre les problèmes de société, dans cette mesure même, le système de protection de la classe politique leur interdira le terrain.

Cela ne signifie pas qu’il faille renoncer. Cela doit conduire à chercher les voies d’une stratégie permettant enfin la sortie du ghetto, sans oublier que tenter de percer le béton demande autant d’astuce que de volonté.

Mais la politique est aussi autre chose, de bien plus important. À son niveau le plus haut, elle est une analyse de la société existante concluant à un projet d’autre société. Penser ainsi c’est opérer selon un réalisme contradictoire du réalisme bas qui demande au politique d’agir en système. C’est en fait un arrachement au système qui empêche tout projet. La situation française actuelle permet de le bien comprendre.

À ce niveau, la distinction du politique et du culturel est un piège. La culture, au sens anthropologique du terme, contient nécessairement la compréhension du social et l’action sur le social. Le politique est un choix pour l’homme, donc une option de culture.
Il semble que, dans ce domaine, le monde occitan ait usé d’une bien trop grande humilité ou d’un aveuglement déplorable. On en a l’exemple dans la lutte du Larzac qui se déroulait il y a trente ans, sous des couleurs occitanes, avec mobilisation du symbole linguistique. Les occitanistes n’ont pas vu en son temps plus loin que les politiques des partis. Ils n’ont pas vu qu’un mouvement profond dans la culture naissait où le mondial rejoignait le local, très au delà de frontières occitanes, qu’un monde s’inventait, comme se préparait la riposte au mouvement de globalisation techno-capitaliste alors encore incertain.

Les occitanistes n’ont pas vu que pour une fois le sort du monde se jouait sous leur ciel et sous leur langue. Ils peuvent le voir aujourd’hui.

La conclusion s’impose. L’Occitanie sera intelligente ou ne sera pas. La pensée occitane sera à l’échelle du monde ou elle ne sera qu’un rogaton provincial de politique et de culture.

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