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Dixit Jules Ferry ...

14 mai 2012

Le 28 juillet 1885 lors d’un débat parlementaire, Jules Ferry répond au radical Pelletan, qui conteste la politique coloniale de la France :

[…] Messieurs, il y a un second point, un second ordre d’idées que je dois également aborder, le plus rapidement possible, croyez-le bien : c’est le côté humanitaire et civilisateur de la question. Sur ce point, l’honorable M. Camille Pelletan raille beaucoup, avec l’esprit et la finesse qui lui sont propres ; il raille, il condamne, et il dit : Qu’est-ce que c’est cette civilisation qu’on impose à coups de canon ? Qu’est-ce, sinon une autre forme de la barbarie ? Est-ce que ces populations de race inférieure n’ont pas autant de droits que vous ? Est-ce qu’elles ne sont pas maîtresses chez elles ? Est-ce qu’elles vous appellent ? Vous allez chez elles contre leur gré, vous les violentez, mais vous ne les civilisez pas. Voilà, messieurs, la thèse ; je n’hésite pas à dire que ce n’est pas de la politique, cela, ni de l’histoire : c’est de la métaphysique politique. […]

Et je vous défie, -permettez-moi de vous porter ce défi, mon honorable collègue, monsieur Pelletan, - de soutenir jusqu’au bout votre thèse, qui repose sur l’égalité, la liberté, l’indépendance des races inférieures.

Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! Il faut dire ouvertement que les races supérieures ont un devoir vis-à-vis des races inférieures. […]

Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures.

Ces devoirs, Messieurs, ont été souvent méconnus dans l’histoire des siècles précédents, et certainement quand les soldats et les explorateurs espagnols introduisaient l’esclavage dans l’Amérique centrale, ils n’accomplissaient pas leur devoir d’hommes de race supérieure. Mais, de nos jours, je soutiens que les nations européennes s’acquittent avec largeur, avec grandeur et honnêteté de ce devoir supérieur de civilisation.

Est-ce que vous pouvez nier, est-ce que quelqu’un peut nier qu’il y a plus de justice, plus d’ordre matériel et moral, plus d’équité, plus de vertus sociales dans l’Afrique du Nord depuis que la France a fait sa conquête ? […] »

« Est-ce qu’il faut laisser d’autres que nous s’établir en Tunisie, d’autres que nous faire la police à l’embouchure du Fleuve Rouge […], laisser d’autres se disputer les régions de l’Afrique équatoriale, laisser aussi régler par d’autres les affaires égyptiennes qui, par tant de côtés, sont des affaires vraiment françaises ? […]

[…] alors cessez de calomnier la politique coloniale et d’en médire, car c’est aussi pour notre marine que les colonies sont faites. Je dis que la politique coloniale de la France, que la politique d’expansion coloniale, celle qui nous a fait aller sous l’Empire à Saigon, en Cochinchine, celle qui nous a conduits en Tunisie, celle qui nous a amenés à Madagascar, je dis que cette politique d’expansion coloniale s’est inspirée d’une vérité sur laquelle il faut pourtant appeler un instant votre attention : à savoir qu’une marine comme la nôtre ne peut pas se passer, sur la surface des mers, d’abris solides, de défenses, de centre de ravitaillement. […]

Messieurs, il y a là des considérations qui méritent toute l’attention des patriotes. Les conditions de la guerre maritime sont profondément modifiées.
A l’heure qu’il est, vous savez qu’un navire de guerre ne peut pas porter, si parfaite que soit son organisation, plus de quatorze jours de charbon, et qu’un navire qui n’a plus de charbon est une épave sur la surface des mers, abandonnée au premier occupant. D’où la nécessité d’avoir sur les mers des rades d’approvisionnement, des abris, des ports de défense et de ravitaillement. Et c’est pour cela qu’il nous fallait la Tunisie ; c’est pour cela qu’il nous fallait Saigon et la Cochinchine ; c’est pour cela qu’il nous faut Madagascar, et que nous sommes à Diégo-Suarez et à Vohémar, et que nous ne les quitterons jamais !… Messieurs, dans l’Europe telle qu’elle est faite, dans cette concurrence de tant de rivaux que nous voyons grandir autour de nous, les uns par les perfectionnements militaires ou maritimes, les autres par le développement prodigieux d’une population incessamment croissante ; dans une Europe, ou plutôt dans un univers ainsi fait, la politique de recueillement ou l’abstention, c’est tout simplement le grand chemin de la décadence ! Les nations, au temps où nous sommes, ne sont grandes que par l’activité qu’elles développent.

Rayonner sans agir, sans se mêler aux affaires du monde, en se tenant à l’écart de toutes les combinaisons européennes, en regardant comme un piège, comme une aventure toute expansion vers l’Afrique ou vers l’Orient, vivre de cette sorte, pour une grande nation, croyez-le bien, c’est abdiquer, et dans un temps plus court que vous ne pouvez le croire, c’est descendre du premier rang au troisième et au quatrième.

Le parti républicain a montré qu’il comprenait bien qu’on ne pouvait pas proposer à la France un idéal politique conforme à celui de nations comme la libre Belgique et comme la Suisse républicaine ; qu’il faut autre chose à la France : qu’elle ne peut pas être seulement un pays libre ; qu’elle doit aussi être un grand pays, exerçant sur les destinées de l’Europe toute l’influence qui lui appartient, qu’elle doit répandre cette influence sur le monde, et porter partout où elle le peut sa langue, ses mœurs, son drapeau, ses armes, son génie. »

(Jules Ferry, Débats parlementaires, 28 juillet 1885)

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« […] L’expédition d’Alger n’était, à l’origine, qu’un acte de haute police méditerranéenne. Les archipels de l’océan Pacifique, les rivages de l’Afrique occidentale, se colonisaient pied à pied, timidement, et comme au hasard : c’était l’époque des annexions modestes et à petits coups, des conquêtes bourgeoises et parcimonieuses. Aujourd’hui ce sont des continents que l’on annexe, c’est l’immensité que l’on partage, et particulièrement ce vaste continent noir, plein de mystères farouches et de vagues espérances, que la papauté divisait il y a trois siècles d’un trait de plume et d’un signe de croix entre les deux couronnes catholiques d’Espagne et de Portugal, et sur lequel la diplomatie d’aujourd’hui trace avec une activité fiévreuse ce qui s’appelle, en jargon moderne, la limitation des sphères des intérêts respectifs. […]
La politique coloniale est fille de la politique industrielle. Pour les Etats riches, où les capitaux abondent et s’accumulent rapidement, où le régime manufacturier est en voie de croissance continue, attirant à lui la partie sinon la plus nombreuse, du moins la plus éveillée et la plus remuante de la population qui vit du travail de ses bras, - où la culture de la terre elle-même est condamnée pour se soutenir à s’industrialiser, – l’exportation est un facteur essentiel de la prospérité publique, et le champ d’emploi des capitaux, comme la demande du travail, se mesure à l’étendue du marché étranger. […]

(Jules Ferry, Le Tonkin et la Mère-Patrie, 1890)

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