Accueil > En savoir + > Débats > Pour une nouvelle étape

Pour une nouvelle étape

27 octobre 1999

07/99, Gustau ALIROL, président du Partit Occitan

L’occitanisme politique et culturel est arrivé à un tournant. Chacun le sent, chaque militant le sait. Le constat en a été fait déjà à plusieurs reprises. Les perspectives d’avenir restent à dégager et à identifier de manière claire. Même si l’exercice est difficile et ne peut être effectué dans un cadre aussi étroit, ces quelques lignes se veulent une contribution modeste à un débat qui doit être poursuivi.

UN CONSTAT A INTEGRER

Du constat généralement accepté, trois aspects majeurs peuvent être retenus de l’occitanisme qui a culminé dans les années 70.

1) L’idée occitane a manifesté d’abord une réaction de défense face à la destruction en phase terminale des composantes essentielles de la Société occitane tant sur le plan économique que culturel.

2) Elle s’est posée d’emblée comme une revendication qui sur le terrain politique s’est inscrite à l’intérieur du courant politique dominant qui allait aboutir à la " Gauche plurielle " aujourd’hui installée au Gouvernement de la France.

3) D’une manière paradoxale, alors qu’elle mettait en cause la forme centralisée de l’État, c’est à cet État et à ses instances politiques centrales qu’elle en appelait pour la satisfaction de ses revendications.

L’évolution politique, économique et sociale qui a marqué les vingt dernières années n’a pas suffisamment été analysée et prise en compte par la majorité des acteurs de la cause occitane.

DE PROFONDES MUTATIONS SOCIO-ECONOMIQUES ET POLITIQUES

La société occitane traditionnelle n’est plus. Même si, comme le montrent les enquêtes réalisées ici ou là, la langue est encore parlée ou comprise par un nombre encore relativement important de personnes, la situation linguistique ne peut pas servir de tremplin à une revendication culturelle de la part de locuteurs qui n’en ont jamais été naturellement porteurs. Un courant d’opinion existe pourtant bel et bien, des pratiques se mettent en place pour lesquelles cependant une perspective d’avenir reste à tracer.

En matière économique, les régions occitanes sont aujourd’hui intégrées au marché hexagonal et européen ; elles subissent elles aussi les effets de la mondialisation et les acteurs économiques, souvent de second rang, en appellent à l’État pour obtenir la protection qu’il n’est plus à même de leur assurer.

Sur le terrain politique, les forces de gauche, occupées qu’elles étaient à gérer la maison " France " se sont montrées incapables de donner un début de réponse à des aspirations pourtant limitées. Leur incapacité s’est d’ailleurs trouvée renforcée par leur propre inaptitude à prendre la mesure de l’ampleur des bouleversements idéologiques générés par les évolutions socio-économiques. La mise en cause de l’État, en particulier, a engendré en leur sein un repliement sur les " valeurs républicaines " ressuscitées de la Troisième république, participant et alimentant ainsi la crispation identitaire française. Le seul point positif à inscrire à leur actif reste modeste : la mise en place des Régions, laquelle, en dépit de sa portée limitée et purement technocratique est susceptible d’alimenter des évolutions qu’elles redoutent d’ailleurs souvent.

UNE MUTATION NÉCESSAIRE

Face à cette évolution fondamentale, le mouvement occitan n’a renouvelé ni ses analyses, ni ses objectifs immédiats ni à plus long terme, ses pratiques.

Dans le domaine culturel, il a continué à raisonner comme si la situation linguistique et culturelle était apte à produire par elle-même une demande sociale porteuse des revendications qu’il avançeait. Or à l’heure actuelle, la promotion de la langue occitane ne peut plus être justifiée par les seules considérations tirées de son statut de langue à part entière auquel d’ailleurs la population occitane n’adhère pas encore naturellement, en dépit des progrès effectués du nombre de ses locuteurs, c’est-à-dire de sa vigueur intrinsèque. C’est bien plus en termes de reconquête linguistique qu’il convient de poser aujourd’hui la problèmatique linguistique en oeuvrant dans le même temps à la mise en place d’une pratique de la langue fondée sur des champs nouveaux de son utilité sociale. L’énorme travail réalisé par les militants culturels, aussi bien dans la publication que dans la mise sur pied d’instruments d’apprentissage scolaire est constamment confronté à cette question de l’utilité sociale de l’occitan ; et il le sera aussi longtemps que la langue ne sera pas reconnue largement comme marqueur premier d’une identité assumée collectivement.

La revendication politique n’a pas davantage échappé à ce type de démarche élaborée à partir d’un donné censé exister objectivement et de nature à se perpétuer. Ceci a conduit les acteurs de ce champ d’intervention à poser des revendications plus qu’à avancer des propositions à partir de principes, au demeurant parfaitement justes dans l’absolu, mais déconnectés, sinon des réalités objectives, du moins des préoccupations et des aspirations concrètes de la population. Ils oubliaient ainsi que les temps forts de l’action politique occitane ont été ceux qui ont vu l’idée occitane rencontrer les aspirations sociales (cf. le succès du mot d’ordre " Volèm viure al país "). De là est née sans doute l’incompréhension, sinon le rejet, de la part d’un large secteur du mouvement culturel à l’égard de l’action politique occitane.

Tel peut être le constat de l’état du mouvement occitan, celui de la maladie infantile de l’occitanisme " moderne ", à défaut d’être une crise d’adolescence. C’est à une nouvelle étape qu’il lui revient de convier maintenant ses acteurs actuels et potentiels. Car le renoncement ne saurait être de mise si l’on veut bien considérer les progrès accomplis durant les trente dernières années : le terme " occitan " est entré dans l’usage pour désigner la langue ; celle-ci a accédé, même de manière très limitée à la radio et à la télévision de service public, à l’enseignement (Calandretas et classes bilingues de l’Education nationale), tous les Conseils régionaux occitans ont désormais des lignes budgétaires consacrées à la culture, des instruments institutionnels ont été mis en place (Institut Occitan à Pau, CIRDOC à Béziers...) toutes choses dont les militants de la première heure auraient sans doute à peine osé rêver. Progrès, certes, souvent plus symboliques que substantiels, mais progrès non négligeables cependant.

CONDITIONS POUR UNE REORIENTATION

1 - Redéfinir les rapports de l’action culturelle et de l’action politique

La société occitane ne s’est jamais posée elle-même dans sa globalité. Même faible, une conscience culturelle existe néanmoins (cf. le " Midi "). Mais elle ne peut pas servir d’emblée de support suffisant à une affirmation politique sur le terrain des principes (de nature juridico-institutionnels : autonomie régionale, autonomie occitane et a fortiori indépendance ou " droit à l’autodétermination "). La priorité doit être reconnue à l’action culturelle avec le double objectif de susciter et d’encourager des réalisations concrètes, d’une part, de renforcer la prise de conscience identitaire, condition sine qua non de l’avenir de notre langue et de notre culture, d’autre part.

Est-ce à dire pour autant que le combat politique ne se justifie pas ? Quand bien même une réponse négative ne puisse pas être écartée a priori, il est possible d’affirmer que l’action politique a sa place dans un travail commun et coordonné, ne serait-ce que pour éviter le risque encore bien présent de l’enlisement folklorique ou " patrimonial " de l’idée occitane que toutes les forces politiques en place ne manquent pas d’encourager. Elle peut avoir une triple fonction :

- imposer aux instances politiques la prise en compte des revendications culturelles, notamment par la " pression " électorale, ce qui suppose la capacité de ses acteurs à se mettre à l’écoute du mouvement culturel et le soutien en retour de celui-ci ;

- proposer les cadres juridiques et institutionnels nécessaires à la réussite de ces revendicatons ;

- organiser le débat proprement politique sur les perspectives globales d’avancée de la cause occitane, en intégrant la problématique économique et sociale.

Relativement aux pratiques qui ont cours jusqu’ici, il s’agit là d’une approche nouvelle mais difficile tant certains des aspects de la " maladie infantile" de l’occitanisme paraissent bien enracinés : en particulier le constant mélange des genres qui conduit chaque occitaniste, culturel ou politique, sur son propre terrain d’intervention, à mettre en avant des thèmes qui relèvent du domaine voisin. II n’est bien sûr pas question de nier le droit fondamental de chacun d’avoir un point de vue personnel sur l’ensemble de la question occitane - encore conviendrait-il d’éviter à cet égard un autre travers, celui qui consiste à s’enfermer dans une optique strictement individuelle pour cause d’ignorance de l’histoire du mouvement occitan ou de refus de ses " acquis " et expériences tant négatifs que positifs. La question est bien plutôt de savoir si chacun est capable de s’investir dans l’action de son choix en s’y tenant et en respectant les choix des autres : travailler sur le terrain culturel sans faire interférer ses options politiques, agir dans le champ politique en respectant l’investissement culturel et, pour tous, admettre qu’il s’agit d’un combat commun. Autrement dit, faire progresser l’idée, dans le milieu culturel, que la perspective politique est indispensable et faire admettre aux acteurs politiques que l’action culturelle a ses propres exigences qui ne consistent pas à justifier ou à alimenter des prises de positions politiques, surtout quand celles-ci se situent dans la pire abstraction.

C’est bien à une attitude nouvelle qu’il convient d’en appeler.

2 - Passer de la revendication à l’affirmation occitane

Le processus de maturation auquel se trouve convié aujourd’hui le mouvement occitan doit le conduire à substituer une attitude d’affirmation du fait occitan à une posture purement revendicative. Encore faut-il s’entendre sur ce que signifie cette affirmation. Loin d’être une incantation purement formelle sur le mode encore trop souvent répandu, elle doit être définie comme une attitude intellectuelle d’affirmation d’une identité ouverte et généreuse, non exclusive d’autres appartenances, mais parfaitement décomplexée : en somme proposer à tous les Occitans de se poser en "Occitans" sans s’opposer systématiquement, en tout cas sans être obligé de renier leur identité "française" et, de surcroît, demain, "européenne". Tel est le défi principal que doivent relever aujourd’hui les militants de la cause occitane : abandonner la perspective " nationaliste " (national-étatiste), dépassée à tous égards à l’aube du troisième millénaire même et surtout du point de vue purement francais dans l’optique de la nécessaire construction européenne, sans pour autant renier son identité ni tomber dans le folklore ou la patrimonialisation pure et simple. La problématique occitane est en effet très spécifique parmi celles dont elle est proche, ailleurs en Europe et même en France.

Analysée en tant que "minorité", l’Occitanie représente la plus importante parmi celles d’Europe occidentale, du point de vue numérique (13 millions d’habitants sur un territoire de 190 000km²) mais de ce point de vue seulement, au point d’ailleurs qu’il est difficile de l’analyser ainsi à d’autres égards. L’ensemble occitan est intégré depuis longtemps dans l’Etat français du point de vue institutionnel ; en matière socio-économique l’intégration est plus récente mais bien réelle, même si elle s’est largement opérée de manière négative, même si l’avenir peut encore être envisagé à travers d’autres relations de proximité qui seraient plus favorables à son développement. La conscience occitane est encore largement embryonnaire et rien n’indique qu’à court terme elle soit susceptible de se développer à partir d’une revendication de type nationalitaire.

C’est donc en termes fondamentalement renouvelés, sur la base de concepts nouveaux, adaptés à la réalité occitane qu’il convient de poser le problème culturel et politique occitan.

A bien des égards, la problématique occitane est très proche de la problématique européenne : il existe bel et bien une réalité et une entité occitanes sur le plan culturel, socio-économique, historique et géopolitique, de même qu’il existe une réalité européenne antérieure à la construction européenne en cours. Cette entité occitane doit s’affirmer mais ne peut le faire qu’à travers un projet pour la Communauté qu’elle doit constituer.

Dans l’idée de Communauté, c’est une évidence, il y a celle de mise en commun. L’avenir de la cause occitane passe par un projet de mise en commun entre les Régions occitanes de ce qu’elles partagent, à commencer par la langue et par la culture : une politique de promotion de l’occitan ne peut pas être pensée dans un cadre exclusivement régional : une vision d’ensemble est nécessaire, respectant les particularités mais unissant les moyens "techniques" dans une perspective d’avenir qui ne peut être que globale ; I’occitan ne se sauvera pas localement ni régionalement.

La coopération entre les régions occitanes représente la méthode, avec la possibilité d’avancer par étapes, pour la mise en oeuvre du projet de la Communauté occitane. De ce point de vue, le processus de construction européenne, d’abord fondé sur la coopération entre les Etats, peut constituer une forme de modèle évolutif, à adapter à la situation occitane, s’appuyant sur le "principe de réalité". La Communauté occitane, à l’instar de la Communauté européenne, passe d’abord par une Communauté des Régions occitanes organisant la coopération interrégionale dans les domaines que les Régions voudront bien mettre en commun, dans le cadre premier de leurs compétences actuelles (le principe de réalité suppose de partir de l’existant et d’en exploiter toutes les potentialités) : la politique linguistique et culturelle déjà évoquée, mais aussi celle de l’aménagement du territoire, laquelle inclut des domaines aussi importants que ceux des voies de communication, de la politique de la montagne (en particulier pour l’ensemble du "Massif occitan" [1] et donc des mesures pour l’agriculture, les PME... C’est dire l’importance de ce domaine possible d’intervention sur le mode de la coopération. C’est dire aussi (toujours le principe de réalité) que cette eoopération ne peut être pensée et proposée que dans le cadre de négociations communes à mener et avec l’Etat et avec l’Union Européenne, sur la base des projets élaborés ensemble par les collectivités concernées.

La Communauté Occitane peut dès lors constituer le cadre évolutif pour un projet mis en oeuvre sur le mode coopératif. Cela suppose une mobilisation des instances locales et régionales.

3 - Changer notre rapport à l’Etat et aux institutions

Cette mobilisation ne peut se concevoir qu’à partir d’un autre type d’approche politique de la réalité occitane impliquant un changement fondamental d’attitude face à l’Etat d’un côté et aux instances régionales notamment de l’autre.

II s’agit à la fois, d’une part, d’opérer un constat, celui non seulement de la carence mais du refus inavoué et cependant bien réel, de la part du pouvoir d’Etat, toutes tendances politiques confondues, (en dépit des déclarations de circonstances : cf. encore l’affaire de la signature/ratification par la France de la Charte européenne des langues régionales), de prendre en compte sérieusement les revendications " régionales ", et, d’autre part, face à ce constat, de poser le principe de la responsahilité proprement politique qui incombe dès lors aux acteurs et aux Institutions des Régions occitanes.

L’Etat est confronté aujourd’hui à une perte d’autorité, sinon de substance [2]. C’est le résultat de divers phénomènes conjugués : mondialisation économique qui décrédibilise le "colbertisme ", version ataviquement francaise de l’interventionnisme étatique, dépossession des pouvoirs et des compétences par le biais de la construction européenne mais aussi, et de manière non négligeable quoique moins souvent mise en évidence, la contestation même de l’autorité sous quelque forme que ce soit (il est vrai que l’Etat lui-même ou ses principaux responsables ont grandement aidé à cette contestation à travers les méthodes aujourd’hui mises à jour : malversations politico-financières, ou dernièrement les avatars " paillotesques " de l’Etat de droit en Corse). Parmi toutes les causes de ce déclin de l’Etat, la construction européenne représente celle qui est la plus évidente en termes politiques car elle touche au coeur-même de ce qui fait l’Etat-nation : la souveraineté . Le phénomène frappe inévitablement tous les Etats membres de l’Union européenne mais il prend en France un relief particulier tenant à la spécificité de la formation étatique francaise. La France, à la différence d’autres nations européennes, n’a existé que par l’Etat ; dès lors toute perte de substance de la part de l’Etat est naturellement ressentie comme une atteinte irréparable à la Nation. De là le déchaînement des "souverainistes" de Droite et de Gauche contre la construction européenne ; de là la crispation "identitaire" qui traverse la quasi-totalité des formations politiques en alimentant au passage le courant d’extrême-droite avant qu’il se divise. Cette crispation constitue actuellement l’un des blocages importants de la part des autorités étatiques face aux inspirations même simplement culturelles des représentants des "identités" régionales, comme on le voit avec l’affaire de la "Charte des langues régionales". Il n’existe pas actuellement de majorité politique en France pour faire évoluer l’Etat de manière notable ; celle-ci peut se dessiner, elle n’existe pas encore. Dès lors, s’il convient de maintenir la "pression" en faveur de cette évolution, là ne doit plus être le seul objectif.

Un travail politique s’impose aujourd’hui vis-à-vis des instances locales et régionales afin de les mettre devant la responsabilité qui est la leur : celle d’assurer l’avenir de la langue et de la culture occitanes. Jusqu’ici, dans l’occitanisme, chacun a plus ou moins raisonné comme si cette responsabilité était d’abord celle des militants. Sans rejeter du tout le rôle de ceux-ci, il convient aussi d’impliquer directement les acteurs locaux et régionaux qui ont la charge de notre avenir collectif, au premier rang desquels les élus. Certes, il n’est pas question de nier non plus la responsabilité de l’Etat ; mais outre que celui-ci, comme on vient de le dire, n’est pas prêt à s’engager clairement, il est indispensable que les acteurs de terrain, les élus communaux, départementaux, régionaux soient mis devant la responsabilité politique qui est la leur, c’est-à-dire qu’ils se sentent comptables, et soient regardés comme tels, de l’avenir de notre identité occitane et que, par conséquent, ils prennent les mesures qui sont de leurs compétences pour y pourvoir et au besoin se mobilisent pour obtenir Ies moyens nécessaires. Cette problématique a déjà vu le jour ailleurs ; il est urgent qu’elle s’installe dans les Régions occitanes.

En somme, c’est à davantage de pragmatisme et en même temps de confiance dans notre avenir qu’il convient d’appeler les " occitanistes " pour une mobilisation de la société occitane à l’aube du troisième millénaire.

Gustave ALIROL

[1le "Massif central"

[2Les spécialistes de droit public et en particulier de droit constitutionnel ont bien perçu l’évolution et son caractère désormais inéluctable, ce qui a conduit l’un d’eux, lors d’un colloque tenu en 1998 dans une université parisienne à déclarer : "On doit observer que I’Etat souverain fond à vue d’oeil, par communautarisation de ses compétences et que le moment est proche, sans doute, où chacun se rendra compte que le roi est nu pour s’être dépouillé de tous ses vêtements" (Olivier Gohin, La Constitutíon est-elle encore la norme fondamentale de la République ? Journées Paris V-Droit, 1998).

© Partit Occitan 2009 | Contact | Mentions légales | Plan du site