Ce n’est pas au détour d’un éditorial [1] qui reflète la pensée sur l’Europe actuelle d’un grand nombre de mes camarades provençaux et d’Occitanie, que nous avons découvert le paradigme de la pensée de François Hollande sur « la » crise budgétaire que traversent les États engagés dans la construction européenne. Cette crise à répétition, ses rebondissements depuis la « dernière » de 2007 nous avaient alertés et, depuis notre prise en compte des différents traités européens [2], nous pensions que le pari d’une construction démocratique laborieuse et patiente — malgré la logique ultra-libérale des marchés — valait le coup d’être tentée.
Nous partions d’un postulat : la mise en parallèle de deux constructions. Celle d’une Europe fédérale, pour desserrer le poids des États-nations traditionnels sur leurs peuples, et celle d’une Occitanie en recherche d’un destin démocratique et de la récupération de sa langue et de sa culture.
Le TSCG, un facteur de récession économique
Après les derniers rebondissements de la rigueur obligée sous la houlette de Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, les dernières élections laissaient espérer une avancée conforme à l’engagement politique du candidat F. Hollande. Mais une solution à la fameuse « règle d’or » de ces chefs d’État libéraux impliquait plus de volonté politique face aux niveaux inégaux de la dette des États et aux libéralités faites aux banques au détriment du secteur public.
Aux désengagements successifs sur nombre de points de son programme, — désengagements objectifs (politique des énergies renouve-lables et nucléaire, bio-diversité…) et désengagements attendus (poli-tique territoriale et refondation des pôles de citoyenneté pour sortir du centralisme historique, politique linguistique…) —, succède aujourd’hui la réponse comptable du Pacte budgétaire européen ou « Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance ».
En ne dénonçant pas ce traitement unique (imposer 05% du PIB comme déficit structurel annuel des États) et contraint (art.3), F. Hollande s’est aligné sur les critères des responsables européens et sur leurs institutions libérales, cette euro-sphère pour laquelle il n’y a pas d’autre « alternative ». À la négociation promise de François. Hollande, a succédé un « pacte de croissance » concerté avec Angela. Merkel (120 milliards d’euros d’engagements communautaires).
Cette réponse comptable ne répond pas aux effets de cette crise qui prolonge en l’aggravant celle de 2007 et, surtout, n’en change pas les causes.
Aussi le danger immédiat est celui de la récession : la politique d’austérité préconisée inaugure une période de désordre économique et d’augmentation du chômage (plus de 3 millions actuellement dans l’hexagone). L’augmentation du coût de la vie, le déséquilibre entre l’offre et la demande, les fermetures d’entreprises et la réduction des emplois, la croissance nulle qui résulterait de ce traité, sont autant de facteurs qui remettent en question la construction européenne.
Le TSCG va renforcer les politiques antisociales (salaires, retraites, flexibilité, inégalités, privatisations…) et l’austérité imposée sera un facteur de compression des comptes publics.
Bref, la loi des marchés va se renforcer aux dépens du politique. Seuls les chantres du libéralisme vont s’y retrouver. C’est ce simple constat que nombre d’économistes font. Et dans le seul cadre du systè-me actuel, précisons-le.
Le TSCG, un facteur de régression politique
Ce « compromis » remarquable en faveur des chefs d’État et de gouvernement freine toute avancée vers une Europe politique. Une évidence qui fait l’accord des gouvernements. Car cette Europe confrontée aux crises successives et à la dette cumulée des États, n’a pas manifesté un grand courage politique.
La dette abyssale de la Grèce (mais elle n’est pas seule) soudain découverte, la politique de rigueur exigée à son encontre, sont une véritable fuite en avant : l’Europe, au courant de cette situation économique dès 2005, aurait pu dénoncer le mensonge de l’État grec et proposer une solution. Les États ont fermé les yeux et ne se sont surtout pas adressés à Eurostat, l’organisme d’investigation statistique européen.
Mais la question de la dette grecque n’est pas seulement une question technique. À l’exception de l’Irlande, elle concerne aussi l’Espagne, le Portugal, l’Italie, donc l’Europe du Sud et méditerranéenne. Aussi, comment répondre à la dette de ces pays sans concevoir également une politique méditerranéenne solidaire, propre à leur situation ? Ne pas donner de réponse à ces peuples qui subissent la crise à tous les niveaux du vivre ensemble, c’est laisser la porte ouverte à l’euroscepticisme et aux aventures fascisantes.
La réponse n’est pas dans la seule question du Pacte budgétaire. Elle est aussi dans le fonctionnement des institutions européennes qui sont avant tout au service d’une politique inter-gouvernementale.
La Commission n’ayant actuellement qu’un pouvoir d’intervention limité (notamment dans le domaine de la concurrence) ne peut être considérée comme une structure fédérale achevée. Le Conseil des ministres, composé des représentants des États — avec le Parlement qui intervient dans la législation européenne —, quand il décide à l’unanimité et ne vote pas à la majorité, répond à une logique inter-gouvernementale.
C’est aussi le cas du Conseil européen (chefs d’État et de gouvernement) qui fonctionne au consensus. Le Parlement, élu au suffrage universel direct, est la structure politique fédérale qui répond, juri-diquement, à un fonctionnement démocratique.
On comprend mieux le sens d’une politique d’austérité (le fameux « déficit structurel » annuel) : l’accord entre les gouvernements s’est là aussi réalisé à minima. Mais en dehors du contrôle des citoyens et en dehors d’instances fédérales qui auraient pu jouer un rôle plus effectif (la BCE de manière plus importante).
Le meccano institutionnel de l’UE et le rôle déterminant des États sont en parfaite cohérence. Le pacte budgétaire s’inscrit dans cette construction inter-gouvernementale. Reflet de cette Europe libérale, il ne règle pas la construction d’une Europe vraiment démocratique. Il l’en éloigne.
Pour une Europe démocratique, sociale, fédérale
Notre engagement européen n’est pas nouveau. Nous savons ce qui nous distingue du Non des souverainistes de droite comme de gauche, pour ne pas céder au chantage de ce traité comptable. Notre Oui à l’Europe est celui d’une Europe démocratique, sociale, fédérale, mettant en action la synergie des peuples et des régions qui font cette Europe aujourd’hui. Notre Oui à l’Europe est celui de la solidarité entre les peuples et la recherche de solutions socio-économiques pour un développement soutenable et équitable qui tienne compte de la raréfaction des ressources naturelles, du refus de l’exploitation des énergies fossiles et de leurs conséquences écologiques sur la biosphère.
Notre Europe, celle des peuples et des régions, sera fédérale ou ne sera pas. Elle est à cent lieues de cette Europe des États-nations issus de conflits impérialistes et de guerres coloniales encore mal digérés.
Beaucoup d’entre nous pensent que la prudence, vis-à-vis de ce pacte budgétaire sans vision du moyen et long termes, aurait été de rigueur. La prudence politique n’exclut pas la stratégie que nous défendons au Partit Occitan, comme celle d’autres partis qui représentent nos Régions d’Europe, nos territoires historiques et les nations sans État.
On ne peut tourner la page aussi facilement en disant que ce traité n’est que la suite de celui acté précédemment. Car ce serait une erreur politique de considérer que nous sommes toujours en 2007 et que cette crise supplémentaire qui touche de plus en plus profondément les classes sociales les plus fragilisées — et gagne les classes moyennes en Europe — [3] trouvera une issue dans l’austérité la plus sévère que nous ayons connue depuis plus de trente ans. Et après cette crise, une autre ? De reculade en reculade, jusqu’où ira cette Europe ?
Quand la maison brûle, il faut savoir se remettre en question, et une fois le feu réduit, ne pas re-pousser les solutions qui s’imposent. Le système est arrivé au bout de sa logique implosive. Et après ? Et après ce Pacte budgétaire, après cet arbre qui cache la forêt ? Il faut aller plus loin et autrement dans la construction de cette Europe.
À défaut de pouvoir changer ce système rapidement, la solution politique la plus urgente est dans le rassemblement le plus large des forces de progrès, pour une Europe fédérale des peuples et des régions :
• Pour construire une économie -indépendante des banques d’affaires, de la finance — qui mutualise la dette (union financière, euro-bonds, taxation de la spéculation financière…).
• Pour éviter de mettre en place une Europe à deux vitesses que certains souhaitent.
• Pour ne pas transférer sur l’Europe une construction antidémocratique et centralisée qui est encore et toujours le fait des États-nations et du chacun pour soi ; et donc, pour construire enfin une fédération européenne.
Gérard Tautil
[1] ((1)Lo CEBIER- la letra occitanista, n°129, septembre-octobre 2012. Quina Euròpa volèm ?)
[2] (2)Contribution du Partit Occitan aux « Propositions pour un programme occitan du 1er janvier 2006 » de Robert Lafont. Texte publié sur le site : http://partitocitan.org_ - Et dans : « Robert Lafont et l’occitanisme politique. Contribution à une pensée moderne », p.103-105, éditions Fédérop, 2011. G.Tautil.
[3] (3) Joseph E. Stiglitz. « Le prix de l’inégalité ». Editions LLL. sept. 2012. La chute des classes moyennes aux Etats Unis n’est qu’une préfiguration de ce qui attend l’Europe, quand bien même les situations économiques peuvent être distinguées. Mais les effets de crises sur le corps social sont proches, pour ne pas dire identiques.