Article original sur https://stephaneroudier2017.wordpress.com/
Je souhaitais partager avec vous cette analyse de Joan-Ive AGARD, enseignant-chercheur, à laquelle je souscris totalement.
Les langues régionales comme facteur de développement territorial ?
Quand on observe les territoires métropolitains et ultramarins à forte identité, comme la Bretagne, la Corse, le Pays Basque et la Réunion, on constate que ces régions savent mobiliser leur langue et leur culture comme éléments de différenciation positive. Elles mettent en avant leur identité et la considère comme une opportunité pour leur territoire.
Ainsi, lorsque vous entrez en terre bretonne tout vous indique que vous y êtes : la géographie, les pierres, l’architecture, la signalétique routière, les cités, les offices de tourisme, les commerces, les artisans, les chambres d’hôtes, les restaurants et même les industries et les artistes, tous reprennent les emblèmes, les drapeaux, la langue pour se dire, se signaler, s’exprimer, s’affirmer en tant que terre bretonne.
Production, créations et services locaux sont systématiquement mis en avant. Dénominations, étiquettes, publicités, affiches… toutes utilisent la langue régionale et les couleurs, souvent en texte bilingue pour se démarquer.
Ainsi, le territoire et ses acteurs économiques, institutionnels et créatifs produisent un ensemble de messages et de signes qui concourent à l’émergence d’un milieu, d’une ambiance, d’un environnement cohérent, identifiable culturellement, c’est-à-dire un territoire qui se nomme !
Cette mobilisation des éléments culturels et patrimoniaux présente deux avantages majeurs et concernent deux cibles de populations principales. Tout d’abord elle permet de stimuler la cohésion sociale en renforçant le sentiment d’appartenance des acteurs locaux (la fierté d’être basque ou corse par exemple) avec un effet positif structurel : la volonté de vivre au pays, d’y développer une activité et de contribuer au bien commun.
D’autre part, le fait de s’appuyer sur l’identité permet une différenciation positive du territoire par les visiteurs. Cette distinction déclenche auprès des touristes un effet « d’exotisme proche », le sentiment de découvrir une différence inédite et enrichissante. Cette identité culturelle est un marqueur d’originalité, qui est un élément de plus en plus recherché par les « découvreurs de nos territoires », troublés par les effets d’une mondialisation uniformisatrice. L’identité, la culture régionale sont la réponse à leur quête hédoniste d’authenticité et d’expériences sincères.
Mais qu’en est-il de la situation périgourdine ?
La culture occitane périgourdine : une ressource gaspillée ?
Lorsque l’on examine le cas du Perigòrd, on ne peut que constater l’absence de la langue occitane dans les politiques de communication touristique pour ce territoire. En effet, très rares sont les utilisations de cette culture dans les offres des activités des industries créatives comme l’artisanat, la gastronomie, l’hôtellerie, l’œnotourisme, le sport, les festivals culturels… et les services touristiques.
Paradoxalement, le Perigòrd est la région où l’Occitan est encore le plus compris, le plus pratiqué au sein des familles et où la volonté de préserver ou de vivifier la langue est la plus élevée de toute la zone linguistique occitane.
En résumé, le Perigòrd, demeure un lieu de pratique relativement élevé, mais semble se désintéresser de ce patrimoine immatériel. Pire, les acteurs locaux et étrangement ceux qui ont la charge d’administrer le territoire ont tellement intégré la « vergonha » (vergogne en français, c’est-à-dire la honte) de leur langue qui la considère comme un patois déclassé. Aussi, la mobilisation de l’occitan est-elle marginale et elle est considérée comme une démarche passéiste, sans valeur et sans avenir.
Une ressource déterminante pour les industries créatives
Regardons à présent où se porte l’attention et les réalisations des politiques publiques en Perigòrd. Un exemple emblématique domine. La très belle réalisation du nouveau « mastodonte » touristique de Lascaux IV résume la situation locale. Le territoire se nomme et s’exprime par la Préhistoire.
C’est un choix stratégique qui a certes des vertus mais qui possède un trait faible pouvoir d’identification positif pour les habitants. Se projeter en tant qu’homos sapiens préhistorique, même en tant que Cro-Magnon artiste des âges anciens, est particulièrement difficile. Alors que la culture occitane, est, elle, dans l’Histoire ! Ainsi, notre territoire appartient à une culture millénaire brillante qui a contribué au fondement des formes de la littérature occidentale (poésie, prose, chant, avec notamment le mouvement littéraire médiéval des Trobadors). Elle véhicule des valeurs humanistes d’une extrême modernité comme celle du « Paratge » (noblesse de cœur, puis notion d’égalité dans la diversité). Elle permet de générer un sentiment de distinction positif.
En conclusion, à l’instar des territoires comme la très moderne Catalogne, le bouillonnant Pays Basque, si le Perigòrd savait mobiliser sa culture, sa langue occitane comme une ressource, un atout, un ensemble d’activités et de professions appartenant aux industries créatives comme les : formateurs, enseignants, artistes, auteurs, traducteurs, designers, éditeurs, doubleurs, vidéastes, cinéastes, scénaristes, graphistes, créateurs de jeux vidéo, informaticiens, web-managers, web-designer, community managers, imprimeurs… pourraient s’agréger, se développer sur le territoire. Une véritable économie créative liée à la culture, au tourisme qui valoriseraient les productions et les services locaux en circuits courts et durables pourraient se révéler.
C’est la raison pour laquelle nous sommes intimement persuadés qu’une telle démarche, permettrait de réconcilier économie, identité culture pour « lo ben de tots ! (le bien de tous !)»
Joan-Ive AGARD
Enseignant chercheur.